LA GRANDE BRADERIE.

J'avais décidé il y a quelques jours de reprendre l'écriture d'un livre ("De base, il faut les bases." Poke Orelsan) commencée l'année dernière alors que j'enseignais au collège. Un texte mêlant saynètes (toutes réelles) et réflexions sur le métier de Professeur, sur les élèves et l'état de leurs capacités cognitives, mon POV sur l'École en France.

Au regard de l'accélération de la saisie de la question éducative et scolaire par les médias (mais n'importe comment et de façon trop superficielle) et par les pouvoirs publics (trop lentement et surtout à côté de la plaque), je me suis dit : "Ma vieille, arrête de te disperser sur mille sujets - histoire de ne pas te confronter pleinement au risque de ne pas réussir à écrire ce que tu voudrais sur LE sujet qui mérite l'attention de 100% de la société (parce que tous les autres en découlent) - et colle-toi au TAF !" Ça ne va pas être simple, je le sais, et la difficulté avec laquelle je ponds le billet que vous êtes en train de lire le confirme avec force. Bref, je poursuis, langue pendante et cerveau bégayant.

Mon cher D. et ouamziz avons regardé hier soir (25/10) "La Grande librairie" (émission animée par Augustin Trapernard et ses nouveaux implants capillaires qui lui font une bien drôle de tête), spéciale "Hommage à l'École, aux enseignants, au personnel qui les accompagne, au savoir et à la transmission." Vaste programme !

En m'installant devant le poste de télévision, j'étais joie : des écrivains-enseignants (dont certains sont encore "en service") allaient avoir la parole pendant 90 minutes, en prime time, sur une chaîne du Service public. "Quelle belle initiative hommagesque, me suis-je dit, ô combien nécessaire par les temps qui courent (et je ne parle pas que des assassinats - terribles, sidérants - de Samuel Paty et Dominique Bernard)." Et puis, la liste des invités était alléchante.

Tout au long de cette émission une déception à la hauteur de ce que j'espérais (sans trop y croire, mais moi que voulez-vous, j'espère toujours et, d'ailleurs, j'espère que j'espérerais jusqu'à ma mort) n'a cessé de croître. À la fin, quand je me suis levée du canapé, j'étais vénère et/parce que frustrée et triste. À part Thomas Reverdi (dont je n'avais jamais entendu parler) et Rachid Benzine, personne n'a rien dit, même si tous ont parlé. Le pompon du vide intersidéral revient (sur cette émission hein, je ne peux commenter autre chose que ce que j'ai vu d'elle hier) à Mara Goyet (je n'ai pas le temps - et ce serait trop long - de développer pourquoi j'écris cela. Il vous suffit de regarder l'émission en Replay, et vous prendrez toute la mesure, j'en suis sûre, du pourquoi je lui remets ici ce ce "prix").

Le bla-bla accompagnant le replay est : "Cette semaine, Augustin Trapenard et ses invités rendent hommage à l'école, aux enseignants, au personnel qui les accompagne, au savoir et à la transmission." Heu, en fait, ils se sont surtout rendu hommage à eux-mêmes, entre eux ; pas un mot (enfin si peu que cela revient à dire "pas) sur les élèves (les seuls vus/entendus en reportage étaient des élèves de classes prépa, comme chacun sait tellement représentatifs de l'ensemble des élèves), les AESH, les CPE, les COP, les Infirmières (même si je n'en connais personnellement que très peu qui soient à la hauteur de leur tâche, un peu comme pour les Profs), les surveillants, les agents territoriaux qui font vivre les établissements... Pas un mot donc sur le "personnel qui les accompagne" comme annoncé dans le bla-bla sus-cité.

Être Professeur (mot qui a la même racine que le mot "Prophète" #EhVoui) n'est possible que parce qu'un collectif se met en place, vit et est entretenu par les membres qui le constituent. Aujourd'hui plus que jamais (le processus a commencé depuis longtemps, peut-être même depuis le début ?), c'est tout ce système collectif, gangrené, malmené, qui se rapproche toujours un peu plus du bord du gouffre dans lequel sommeillent (que d'un oeil, on le sait toutes et tous ; dernièrement ce sont les vies de MM. Paty et Bernard qui ont été saisies) les pires maux/mots de l'Humanité.

Professeur est en réalité un métier impossible à exercer, en tout cas, si l'on devait l'exercer comme il le faudrait. Cela demande de la solidité émotionnelle en même temps qu'une grande capacité d'empathie ; cela demande une patience au-delà de ce que l'on se penserait parfois capable en même temps que de savoir poser des limites ; cela demande d'avoir des connaissances académiques en même temps que savoir rester en éveil sur tout et, en particulier, sur ce qui relève du monde de celles et ceux qui nous font face ; cela demande d'être généreux, bienveillant, vif et curieux de l'humain, même dans ce qu'il peut avoir de plus merdique, craignos, dangereux... Oui, parce que les individus qui nous font face sont des ENFANTS, perdus, apeurés, hostiles (plus que rebelles) encore plus que ce que les plus de trente ans l'ont été avant eux.

Vous l'aurez compris, j'étais dans un état d'énervement assez prononcé. Mon cher D. m'a parlé gentiment, presque chuchotant, comme un dompteur de fauves qui cherche à calmer les bêtes dont il a la responsabilité, pour faire redescendre cette émotion doublée d'un sentiment à un stade moins "dans les tours". Et il a réussi (il parle bien, et je crois être capable d'écouter) ; assez rapidement cette colère s'est transformée en détermination à reprendre le travail sur mon projet de livre "De base, il faut les bases", à coucher sur le papier ce que je porte si sauvagement en moi et qu'il me faut considérer à mon tour avec le savoir-faire du dompter de fauves. C'est bien là toute la quintessence du travail d'écriture : poser, déposer, de façon suffisamment sincère, claire et honnête pour que d'autres puissent faire leurs des mots. Ces mots, offerts par quelqu'un qu'ils ne connaissent pas, qui, ô beauté, sonnent parfois si justement, si précisément comme ceux que l'on ne parvenaient pas à dire, à se dire, des mots dont parfois même on n'avait même pas idée.

J'ai hâte de retourner enseigner... je ne saurais douter que, au regard du climat hautement anxiogène de ces dernières semaines, des postes se retrouvent sans l'enseignant correspondant, et ce très rapidement après la rentrée des vacances d'automne... En attendant, j'écris, je réfléchis seule ou à deux voix avec mon très cher D., j'écris à nouveau et je cherche à impulser, créer des projets collectifs, je m'épuise quelquefois, je me décourage, hop je médite, je fume des clopes (plus pour longtemps), je bois de l'eau, je me tape des barres avec le Dom et quelques autres personnes, je vis quoi. Enfin, j'essaie.

FRAGMENTS SENSIBLES ET NON DOGMATIQUES

Par Laflote Sistoux

Bonjour,

j'ai exercé les métiers de journaliste-casteuse TV, d'assistante d'édition, d'attachée de presse politique, de conceptrice-rédactrice avant de passer, à quarante-six ans, le Capes de Lettres modernes et devenir Professeure de Français.

Par ailleurs, je suis auteure. J'ai publié trois livres Jeunesse : deux chez Folio Junior (1998) et un chez Gründ (2014).

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