Je commence à peine à rédiger, sans avoir vraiment d’idée quant à ce que je vais pondre précisément, et je me pwâle toute seule parce qu’on dirait que je m'apprête à écrire un bla-bla à propos d'un obscur rappeur inconnu de toutes et tous.
D’ailleurs, tapons « Doc M. » dans la barre de recherche de poteau Gougueule… : il me dirige vers le site de « Dr Martens »… Intéressant, dans la mesure où celui que je nomme ainsi n’est autre que le psychiatre qui me suit depuis maintenant neuf ans (quasi jour pour jour), « mon » psychiatre, depuis donc cent-vingt mois, celui qui m’a permis de me redresser psychiquement après une épreuve redoutable de dépression ; une sorte de « Dr Martens » de la teuté – ha ha ha, il va adorer être comparé à une paire de boots certes confortables et inusables mais à l’esthétique discutable.
J’ai vu Doc M. pour première fois lors de mon hospitalisation chez les « Toc-Toc » (exigée auprès des miens par ouam-même) – ceci écrit sans mépris aucun – à la fin du mois d’octobre 2014. Il était tard, genre seconde partie de soirée. Je ne me souviens pas de ce que j’étais en train de faire – compte tenu de mon état d’alors, je devais dérouiller des connexions cérébrales (celles et ceux qui ont déjà ressenti de la douleur psychique verrons très bien de quoi je parle ; les autres imaginez la pire douleur physique que vous ayez éprouvée dans votre vie), roulée en boule sur le lit. Il est entré dans la chambre que j’occupais, m’a saluée, a tiré la chaise du bureau – seuls meubles à part le lit – et s’est assis dessus. Son regard a fait le tour des lieux et il a marmonné (il marmonne souvent) : « Hum … obsessionnelle… », comme une évidence. Ensuite, il m’a posé quelques questions, je lui ai sans doute répondu, m’en souviens plus. Fin de la visite. Durant les six semaines qui ont suivi, je l’ai vu tous les jours (à deux ou trois exceptions près) dans une ambiance qui passa de mélancolique, à moins, puis moins encore, puis mieux, puis beaucoup mieux et enfin yesssssss, je -peux rentrer auprès des miens.
L’état bringuebalant (#Euphémisme) de la Psychiatrie en France n’est un secret pour personne (enfin, quand on ne vit pas dans une grotte, qu’elle soit réelle ou mentale) ; comme de tous les Services publics d’ailleurs. Le manque de moyens est hallucinant et les usagers peuvent se sentir vraiment comme des merdes (déjà que quand on débarque en HP, qu’il soit privé ou public, on est bien attaqué par les renards côté estime de soi)… En arrivant aux urgences Psy, étape qui a précédé de 48 heures mon hospitalisation, j’avais été reçue par une jeune psychiatre (moins de trente-cinq ans à vue de blase) qui avait fait preuve d’un sens de l’empathie pour le moins Hié. Lisez plutôt : alors que pleurs et angoisses étaient chez ouam à leur maximum, à tel point que personne ne comprenait grand-chose à ce que je racontais (pas même moi), cette CONNASSE a cru bon de me dire, au bout de quelque chose comme cinq minutes de consultation : « Ah ben Madame, vous êtes bipolaire. » Ça m’avait terrassée (encore plus que ce que je n’étais déjà veux-je dire). Je revois le regard de l’infirmière qui siégeait à ses côtés, pas une jeunette : il était très près de se lever vers le ciel dans une expression de lassitude qui m’avait fait me dire, en une fraction de seconde, que je ne devais pas prendre pour argent comptant ce qui venait de m’être balancé dans les gencives. Pour donner une idée de la bêtise, folie, manque de professionnalisme, connerie abyssale de cette « docteure », Doc M. (il avait à l’époque autour de cinquante-cinq ans) a attendu des années avant de me faire part d’un diagnostic, et il ne correspondait pas à celui asséné, que dis-je envoyé par bombardier, par l’autre CONNASSE.
À la clinique dans laquelle j’ai séjourné pendant ces fameuses six semaines, nous étions plutôt bien traités, même si la seule réponse qu’on nous apportait était la médicamentation sans vraiment d’accompagnement par la parole. Il y avait bien ces entrevues quotidiennes avec Doc M. (les autres Doc eux aussi voyaient leurs patients au même rythme, enfin il me semble) mais nous étions nombreux et il n’avait matériellement pas le temps de passer trois plombes avec chacun(e) d’entre nous, d’autant moins qu’il pratiquait également son métier en cabinet. Alors oui, nous pouvions parler aux infirmières et infirmiers (tous assez sympas d’ailleurs), pratiquer les activités proposées (à l’époque : marche d’une heure dans la nature environnante accompagnés – surveillés ? – par le prof de sport, poterie, atelier d’écriture + les classiques TV, jeux à la cafétéria et/ou sur le portable puisqu’il y avait l’ami Wifi), mais perso il m’a manqué de pouvoir causer, analyser surtout ce qui m’avait conduite dans ce lieu si à part de tous les autres lieux que j’avais pu traverser jusqu’alors.
Je reviens à Doc M., homme au visage affable et à l’œil jovial (t’as intérêt à l’être quand tu exerces un tel travail !), qui a toujours fait preuve envers moi d’un professionnalisme à toute épreuve, et cet état de fait ne s’est pas démenti au fil des années. Chacune de nos entrevues post-clinique (et il y en a eu un paquet en neuf ans) n’a jamais duré moins d’une demi-heure, il a répondu au téléphone à chaque fois que j’ai eu à l’appeler en dehors de nos rencontres, ou alors il me rappelait dans les minutes suivantes. Bon sur les sms, il en a parfois zappé quelques-uns, mais reconnaissons que si on est au bord de se foutre en l’air et qu’on appelle à l’aide, rarissime doivent être les gensses qui le font en textotant ! Attention, si vous pensez, là maintenant, que je suis dans un rapport de « fan » avec Doc M., vous vous collez le ouad dans la cavité oculaire. Nous évoquons bien des sujets lorsque nous nous voyons (même politiques, sociétaux, etc.) et je ne suis quasiment jamais d’accord avec sa façon de commenter les choses. Mais je m’en fous un peu parce que personne ne me demande de passer mes week-ends avec lui ; il est mon médecin-psychiatre, il est bienveillant, compétent, j’ai confiance en lui et, cherry on the cake, il est marrant.
Même si je le paye (enfin la Sécu surtout #Merci) pour le service de Santé qu’il me rend, écrire ce texte m’a semblé nécessaire pour rendre hommage à l’engagement de cet homme dans le métier exigeantissime qu’il a choisi, à sa façon faussement nonchalante – et donc apaisante – de faire face aux torrents d’angoisses et autres trucs chelous qu’il se prend dans la tête (je suis très loin d’être sa patiente la plus déglinguée), à sa disponibilité et son écoute. Bon, j’arrête là parce que, si par hasard il devait tomber sur ces lignes, je ne voudrais pas qu’il finisse par prendre le globe ;) Je sais qu’un jour il va prendre sa retraite, sans doute avant que je ne me sente de ne plus avoir de rendez-vous avec lui (si je n’ai plus de traitement médicamenteux depuis quelques temps, le consulter de temps en temps me rassure ; il est devenu une sorte de « doudou » finalement ; et si je l’appelais à parti de cet instant « Doc Doudou » - hu hu hu) et ça va me faire vraiment bizarre de devoir continuer ma vie sans lui. Rien que de l’écrire, ça me fait drôle.
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