« LES DORMANTES ».

C’est le titre d’une chanson de Zaho de Sagazan, autrice compositrice originaire de Saint-Nazaire qui commence à connaître le succès (bravo à elle), chanson qui figure sur son album « La Symphonie des éclairs », sorti cette année.

Je reproduis ci-dessous l’ensemble des paroles de ladite chanson, objet de ce bla-bla, pour que toutes celles et tous ceux qui vont le lire puisse y avoir accès.

L'amour qui fait tomber les cheveux
L'amour qui nous bande les yeux
L'amour vendu aux plus sensibles
Par des putains de vicieux
L'amour qui nous faire croire que lui, c'est eux
Que ça n'sera jamais mieux
L'amour qui nous rendra peureux
Même des plus belles histoires à deux
Même des plus beaux amours heureux 

On a beau croire qu'on a gros caractère
Ah, ces gens-là ont beaucoup de savoir-faire
Si tu veux pas rester bloqué dans leurs filets
Mieux vaut filer dès que t'y es
Mais comment savoir que t'y es
Alors que l'eau est bleue
Et que les oiseaux se font rares

Tout se passe tout doucement
Pour arriver plus facilement
Au versant noir et isolé
Qui s'y engage va certainement dévaler 

L'amour qui fait tomber les cheveux
L'amour qui nous bande les yeux
L'amour vendu aux plus sensibles
Par des putains de vicieux
L'amour qui nous faire croire que lui, c'est eux
Que ça n'sera jamais mieux
Oh oui l'amour 

Ces gens-là sont du genre très beaux parleurs
L'aguicheur, l'allumeur, le séducteur
T'auras beau être en train d'chialer depuis des heures
Monsieur te prêtera des erreurs
Lui qui n'en fait jamais d'ailleurs

Tout se passe tout doucement
Dans ces murmures le serpent
Et après la colère il vous jure
Que ça c'est l'amour
L'amour ça rend fou il en est sûr
Oui ça c'est l'amour
L'amour ça rend fou il en est sûr
Ça c'est l'amour
L'amour ça rend fou et j'en deviens sûre 

L'amour qui fait tomber les cheveux
L'amour qui nous bande les yeux
L'amour vendu aux plus sensibles
Par des putains de vicieux
L'amour qui nous faire croire que lui, c'est eux
Que ça n'sera jamais mieux
Oh oui l'amour 

L'amour qui fait tomber les cheveux
L'amour qui nous bande les yeux
L'amour vendu aux plus sensibles
Par des putains de vicieux
L'amour qui nous faire croire que lui, c'est eux
Que ça n'sera jamais mieux
Oh oui l'amour 

Tout s'est passé silencieusement
Pour arriver finalement, ah
Au pire des tableaux, au croupissant
La laissant éternellement belle au bois dormant
La laissant éternellement belle au bois dormant

C’est ma fille cadette qui m’a fait écouter « Les Dormantes » pour la première fois ; j’ai tout de suite aimé le rythme comme le timbre de voix de la Zaho de Sagazan (purée, ce n’est même pas un pseudo !), enfant de la balle par son daron (la mère est Professeure des Écoles) et quelques autres membres de sa famille. Et, comme à chaque fois qu’une chanson/musique parvient à mes oreilles alors que je n’en avais pas connaissance, et qu’elle me plaît (quelle qu’en soit la raison), je l’écoute en boucle (#ObsessionnelleDeFormation) parfois pendant plusieurs jours, voire je me fais des petites choré dans mon appartement, bien à l’abri des regards, en chantant – au début en yaourt – les paroles. « Les Dormantes » n’a pas été une exception. 

Venons-en à présent à ce qui me chiffonne. Tout le monde aura bien compris qu’elle tourne autour des personnalités que l’opinion commune appelle « pervers narcissiques ». Je me permets de rapporter ici un article de Wikipedia (oui, je consulte ce site, et ?) : « La perversion narcissique est une notion théorisée par le psychiatre et psychanalyste Paul-Claude Racamier dans le domaine de la psychopathologie : elle indique non pas un type de personnalité, mais une pathologie relationnelle qui consiste en une déstructuration de la personnalité dans laquelle la notion d'altérité n'existe pas. Bien que les notions de perversion narcissique et de pervers narcissique aient été reprises et popularisées, elles ne sont pas reconnues par la communauté scientifique et ne figurent pas dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) ni dans l’ICD (classification internationale des maladies). Plus encore, ces termes sont souvent galvaudés, renvoyant plutôt à des troubles de la personnalité narcissique. » 

Je m’interroge beaucoup, et depuis longtemps, sur le pourquoi du comment cette appellation a remporté – et remporte toujours – un franc succès auprès du grand public, alors même qu’elle semble être discutable scientifiquement. Je me souviens que lors de la sortie du film « Mon Roi » (Maïwenn, 2015), les médias ont très rapidement parlé du personnage incarné par Vincent Cassel comme d’un PN (Pervers Narcissique), alors qu’en réalité il ne coche que les cases d’un individu mâle immature, effrayé par l’amour, la paternité, la vie en général, personnage qui n’est pas fichu de s’interroger sur lui-même et de mettre tout en œuvre pour se sortir de son rapport au monde problématique (pour lui-même comme pour les autres). À aucun moment dans ce long-métrage il ne fait subir à Tony (Emmanuelle Bercot) ce qui est d’ordinaire reconnu comme typique d’un comportement de PN. Alors oui, OK, je ne suis ni psychiatre ni psychologue ni psychanalyste, mais je lis, je me documente, j’apprends et depuis fort longtemps sur ce sujet, j’ai un cerveau (dont j’essaie tant bien que mal de me servir), et je me permets d’écrire que ce personnage ne peut pas être estampillé « pervers », plutôt la relation que les deux personnages entretiennent, ce qui qui n’est pas vraiment la même chose.

J’écris sur tout ceci d’autant plus solide sur mes appuis que j’ai moi-même eu affaire à deux personnalités qui seraient aujourd’hui cataloguées « PN ». Et j’ai compris (merci la thérapie) que ce qui était gravement dysfonctionnel (j’ai été malmenée physiquement les deux fois, dont une plus violemment que l’autre) étaient ces relations et non les deux hommes en tant que tels. Enfin, pour être précise, s’il y avait une forme de perversion en eux, elle s’est exprimée parce que, aussi, quelque chose (d’inconscient en l’occurrence) en moi les y a autorisés. Leurs limites relationnelles étaient alors floues, et les miennes tout autant. 

Je recommande ici l’interview de l’actrice Karin Viard (visible sur ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=M5rzKES4oy4) sur les mécanismes présents aussi bien chez les hommes que les femmes qui peuvent conduire à l’expression d’une domination/soumission contre laquelle il faut, évidemment lutter de toutes nos forces. L’égalité entre les deux sexes, la possibilité de voir se généraliser des rapports équilibrés entre eux, ne se feront qu’en libérant les femmes ET les hommes de toutes les représentations de merde qui enveloppent nos esprits, nos cœurs et nos corps depuis… pfiou, longtemps. Pour cela, relisons (entre autres) la Déclaration de la Femme et de la Citoyenne d’Olympe de Gouges (au programme de Première, même si ce n’est pas de la Littérature, le style n’est pas ouf). Si elle y condamne un système dominant essentiellement masculin, elle ne condamne pas pour autant tous les hommes et n’épargne pas non plus les femmes dans leur difficulté – elle va même jusqu’à laisser entendre « leur complaisance » pour certaines – à se redresser (#SyllepseDeSens) et à établir leur place dans le monde, place qu’Olympe de Gouges voit à égalité avec celle des hommes.           

Revenons à la chanson « Les Dormantes » qui était l’objet originel de ce bla-bla. Je regrette qu’une jeune femme (elle fêtera ses vingt-quatre ans le 28 décembre prochain), visiblement sensible et intelligente, participe à laisser penser 1/ que seuls les hommes puissent avoir un comportement pervers en amour (« par des putains de vicieux », « L'aguicheur, l'allumeur, le séducteur », etc.) et 2/ que celui qui a un comportement pervers en amour est un être maléfique (au sens magique ou religieux du terme) qui aurait tout pouvoir sur la personne avec laquelle il va danser un pas de deux dangereux, douloureux, voire mortifère. Personne en ce bas monde n’a de tels pouvoirs. Ni un homme ni une femme (eh oui, les femmes peuvent, elles aussi, se comporter en amour – puisque c’est de cela dont il s’agit dans ce bla-bla – de manière perverse).   

Mais que l’on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas, à savoir que les mécanismes de l’emprise n’existent pas. Évidemment qu’ils existent, et ils peuvent être terribles, mais ce que je veux dire c’est que, pour exister, ils ont besoin de deux parties (minimum) : La victime (chez qui quelque chose – appartenant à l’histoire de la personne – souffle qu’elle le mérite) et le bourreau (chez qui quelque chose – appartenant à l’histoire de la personne – souffle qu’elle le doit). Je ne suis pas certaine de grand-chose, sauf du fait qu’il y a TOUJOURS possibilité d’agir sur le cours de ce que nous sommes, et donc sur le cours du monde. Mon côté optimiste sans doute (alors que je ne le suis pas vraiment, en fait). Hélas (ou heureusement, je ne saurais trancher), il faut tout d’abord trouver la force de se regarder en face, de décortiquer le bordel, de panser les plaies, mais pas seul, personne ne peut faire cela seul. Cela demande de faire confiance à quelqu’un de compétent (et avec qui ça - aussi au sens freudien du terme - « match », il ne s’agit pas de causer à un(e) baltringue), ça prend du temps, ça coûte de l’argent (la Sécu devrait rembourser les séances, au moins en partie, en fonction des revenus des gens), mais au bout (si tant est que l’on puisse arriver au bout), il y a la joie (qu’il ne s’agit pas de confondre avec la niaiserie) d’un peu mieux savoir qui l’on est, qui sont les autres, et donc de se positionner au monde le plus justement qu’il est possible de le faire. 

Si la chanson de Zaho de Sagazan « Les Dormantes » est vraiment super pour s’enjailler en ayant l’air d’être féministe (je pense que cette jeune femme est sincère dans cet engagement), il m’apparaît dommage, voire dommageable, qu’elle ait choisi un angle aussi restreint ne faisant pas état de toute la réalité de ce problème relationnel qui affecte un (trop) grand nombre de personnes, de couples. Parce que, encore une fois, les hommes (enfin certains, ouf) y sont cloués au pilori et que cela influe sur la façon dont les jeunes filles, les jeunes femmes, les considèrent. Autour de moi, tant dans ma vie professionnelle que personnelle, j’ai accès aux discours d’un certain nombre d’entre elles et je suis désolée d’y entendre une méfiance anormalement élevée envers les jeunes hommes et les relations amoureuses. Incontestablement, il est bon d’alerter la jeunesse (et pas seulement d’ailleurs) sur ce qu’est une relation « toxique », mais faut-il pour autant la laisser penser que cette sorte de relation n’est que le fait de personnes appartenant à la gent masculine ? De même, est-il bien nécessaire de faire planer l’ombre de la Mort (« La laissant éternellement belle au bois dormant ») à la fin de la chanson, comme si être empêtré(e) dans une relation du type exposé plus avant ne pouvait trouver d’issue QUE dans l’arrêt de la vie. C’est FAUX, et il y a tant d’exemples de personnes qui ont réussi à s’en extraire, il est vrai abimée mais qui, bien accompagnées, ont pu (re)trouver le goût, la possibilité, la joie d’aimer et d’être aimée.

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FRAGMENTS SENSIBLES ET NON DOGMATIQUES

Par Laflote Sistoux

Bonjour,

j'ai exercé les métiers de journaliste-casteuse TV, d'assistante d'édition, d'attachée de presse politique, de conceptrice-rédactrice avant de passer, à quarante-six ans, le Capes de Lettres modernes et devenir Professeure de Français.

Par ailleurs, je suis auteure. J'ai publié trois livres Jeunesse : deux chez Folio Junior (1998) et un chez Gründ (2014).

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